Rendez-vous avec… Pedro Almodóvar

Rendez-vous avec... Pedro Almodóvar © Joachim Tournebize / FDC

Accompagné sur scène par Ethan Hawke, l’un des deux acteurs principaux de Strange Way of Life, son court-métrage présenté en Séance Spéciale, Pedro Almodóvar a disséqué devant un millier de spectateurs conquis ce western queer qui narre l’histoire d’amour entre un shérif et son amant. « Cannes est le meilleur endroit au monde ! », a lancé le cinéaste espagnol, avant que la salle ne soit plongée dans le noir et ne découvre son ultime geste de cinéma.

À propos du cœur de son court-métrage

C’est une réponse à la question que pose Le Secret de Brokeback Mountain (2006), le film d’Ang Lee : que peuvent bien faire deux hommes dans un ranch ? La réponse est simple : des choses tout à fait humaines, comme veiller l’un sur l’autre ! Mon film est tout à fait différent des westerns de Sergio Leone, qui ont bouleversé le genre. J’ai fait un western classique où je parle du désir entre deux cowboys. Dans beaucoup de mes films, il y a des scènes de sexe explicites. Mais plus le temps passe, moins j’ai envie de le montrer de cette façon. J’ai voulu montrer le plaisir et le désir autrement, en filmant simplement le haut de leurs corps et leurs visages, avec de la sensualité dans les regards.

Sur sa manière de s’approprier le western

Le sujet de l’homosexualité n’a que très peu été abordé dans les westerns, alors que c’est un excellent sujet dramatique. Jane Campion a été la première à esquisser la question dans The Power of the Dog. Mais il ne s’agit que d’une sexualité ambiguë dans son film et il ne parle jamais de désir. Ils ne font jamais l’amour. Ceci dit, les choses avancent. Depuis cinq ans, il y a eu trois grands westerns qui abordent cette question : ceux de Chloé Zhao, Kelly Reichardt et Jane Campion. C’était mon premier western et je ne voulais pas paraître anachronique, surtout aux yeux des américains car c’est leur genre. J’ai donc imaginé un western abstrait à ma façon. Il y a une scène entièrement théâtrale basée sur les dialogues. Je ne voulais pas montrer leurs corps nus, mais leur voix nues. Lorsque j’ai planifié ce film, j’avais décidé de ne pas les montrer nus pour laisser les spectateurs jouer avec leur imagination. Cela en disait davantage de leur désir qu’une scène de sexe. Je ne voulais pas non plus faire un western spaghetti.

Sur Ethan Hawke

Il possède toutes les caractéristiques pour interpréter l’autorité d’un shérif. Il est Texan, donc très Américain, mais ce n’est pas un acteur américain typique, c’est un aventurier qui va là où le destin l’appelle. J’ai toujours admiré Ethan et c’est ce qui m’a plus. J’ai vu qu’il était capable de s’adapter à toutes sortes de rôles. Ce qui m’a aussi beaucoup rassuré, c’est qu’il savait monter à cheval ! Je savais qu’il pouvait montrer de la froideur, de la distance et il a su être secret. 

Ethan Hawke évoque le moment où il a reçu l’invitation de Pedro Almodóvar

J’ai reçu un email et un scénario avec l’invitation de participer. Je suis sorti et j’ai pensé que j’avais certainement fait quelque chose de bien dans ma vie pour mériter cet email ! J’ai grandi avec les westerns et j’étais heureux de participer à un western qui ne singe pas les vieux films. Pedro Almodóvar possède une voix originale et il renouvelle les genres à chaque fois qu’il les touche. C’est tellement confortable, pour un acteur, d’arriver sur le plateau d’un grand cinéaste pour donner le meilleur de soi-même !

Ethan Hawke, sur son expérience avec Pedro Almodóvar

Pour moi, du moment qu’on joue et qu’on est face à une caméra, c’est un acte d’amour. Je vis tout cela comme une expérience d’amour. Pedro fait attention à chaque détail et j’ai remarqué cette obsession chez les grands cinéastes. Le film est sur le désir, et je trouve que c’est très excitant d’être regardé en tant qu’acteur. Toute notre vie, nous composons entre ce que nous sommes et ce que nous voulons être. Cette tension crée des fêlures en nous et j’adore Jake pour ses tensions intérieures.

Pedro Almodóvar sur une scène précise de Strange Way of Life

Il y a une scène qui distingue mon film des autres westerns : on voit deux hommes faire un lit ! C’est une scène importante car pour Jake, faire ce lit, c’est effacer tout ce qui s’y est passé durant la nuit. C’était important de montrer le quotidien de ces deux personnages.

Pedro Almodóvar au sujet des costumes dans le film

Je me suis inspiré des vêtements que j’ai vu au cinéma dans les westerns. Les hommes s’habillaient toujours de la même façon. Les shérifs étaient toujours très élégants avec des cravates ficelles. Les autres personnages avaient toujours un foulard, des jeans sombres et des chemises à carreaux. Je voulais plus de couleurs. Je me suis inspiré de James Stewart dans le film d’Anthony Mann. Mais aussi de Kirk Douglas et de Burt Lancaster.