Retratos Fantasmas, le retour nostalgique à Recife de Kleber Mendonça Filho

Photo du film RETRATOS FANTASMAS de Kleber Mendonça Filho © CINEMASCOPIO PRODUCOES

Après Bacurau, Prix du Jury en 2019, Kleber Mendonça Filho revisite sa ville natale par le prisme de l’histoire des salles de cinéma qu’il a jadis fréquenté. Basé en partie sur des images d’archives personnelles, le documentaire rappelle que ces lieux de rêve aujourd’hui fermés ont constitué un marqueur temporel important de l’évolution des mœurs dans la société brésilienne.

Comment ce retour cinématographique dans la ville où vous avez grandi s’est-il noué ?

J’ai ressenti le désir simple d’explorer un territoire qui m’inspire. Je ne crois pas que les idées de films nous apparaissent d’une manière totalement linéaire et organisée, même si l’industrie tente de formater la créativité. Je crois au contraire que tout se passe de manière très personnelle et intime. À ce titre, je suis toujours heureux de constater qu’un film peut jaillir d’un autre de façon inattendue. La lente gestation de Retratos Fantasmas m’a amené à l’écriture d’une séquence importante de mon prochain long métrage de fiction, O Agente Secreto (L’Agent secret), un thriller qui se déroule en 1977 à Recife. Mais O Agente Secreto m’a également permis d’injecter de nouvelles idées dans Retratos Fantasmas.

Quand a débuté la gestation de Retratos Fantasmas ?

Il a sept ans, en visionnant des images que je conserve chez moi, dans mon bureau, sur des cassettes VHS, Betacam, Hi8 ou MiniDV. J’ai toujours pensé que je pourrais un jour utiliser ces archives personnelles, parmi lesquelles figurent aussi des photographies et des documents sonores. J’ai commencé à développer quelques idées et à me dire que je pourrais également tourner de nouvelles images avec un équipement moderne. Avec mon équipe, nous avons commencé à filmer en 2017, avant le tournage de Bacurau. J’ai abordé Retratos Fantasmas comme un projet parallèle, avec sa propre temporalité.

 

« J’ai ressenti le désir simple d’explorer un territoire qui m’inspire ».

 

Quelle est l’histoire de ces archives personnelles ?

Certaines séquences ont été tournées il y a plus de 30 ans en VHS et en Super 8 alors que je n’étais encore qu’étudiant à l’université. Pour mon projet de fin d’études à l’école de journalisme, j’avais réalisé un documentaire sur les salles de cinéma du centre-ville de Recife. J’aurais donc très bien pu réaliser Retratos Fantasmas à cette époque car j’étais déjà tout à fait conscient que les derniers cinémas des années 1930, 1940 et 1950 présents à Recife allaient bientôt fermer.

D’où proviennent les autres images d’archives utilisées ?

Pour nombre de séquences, de la Cinemateca Brasileira de São Paulo. Lorsque cette institution est entrée dans sa période sombre, en licenciant par exemple le personnel spécialisé dans la préservation des films, j’ai stoppé mon travail là-bas et me suis tourné vers la Fundação Joaquim Nabuco, la filmoteca Alberto Cavalcanti de la municipalité de Recife et le Centro Técnico Audiovisual CTaV de Rio. J’ai également demandé à quelques amis et connaissances s’ils possédaient des photos de famille et des films sur le centre-ville de Recife et ses cinémas. Je me suis rendu compte que les familles sont de formidables ressources en archives, et que chacune d’entre elles a un archiviste autoproclamé, un oncle, une sœur ou une fille qui gère des photos ou des vidéos de manière plus ou moins organisée.

La voix off du documentaire est très douce. Comment avez-vous trouvé le ton juste ?

Il s’est imposé au fur et à mesure des exigences du montage. Pendant la numérisation de mes cassettes personnelles, je rédigeais des notes sur ce que je ressentais. Me replonger dans ces images a été très émouvant. Le travail de montage avec Matheus Farias était quotidien. Il m’obligeait à écrire et à enregistrer le soir même pour la session de montage du lendemain. J’utilisais un microphone bon marché fixé à mon téléphone et j’enregistrais dans mon propre bureau, une fois que les enfants étaient couchés et que la circulation s’était calmée. Cette méthode, parfois accompagnée de quelques verres, m’a aidé à supporter l’écoute de ma propre voix !