O Riso e a Faca, le regard de Pedro Pinho
Dans O Riso e a Faca, son nouveau long métrage présenté à Un Certain Regard, Pedro Pinho suit Sergio, un ingénieur environnemental portugais qui s’installe dans une métropole d’Afrique de l’Ouest pour travailler sur un projet de construction routière reliant la jungle au désert. Le réalisateur portugais interroge les asymétries postcoloniales entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, dans une forme libre et vivante, traversée par les élans de ses acteurs.
Qu’est-ce qui vous a incité à réaliser ce film ?
Le film est né de la nécessité de penser l’Europe dans son rapport au monde. Au fil des années, à travers plusieurs voyages et séjours prolongés en Afrique de l’Ouest – en particulier en Mauritanie et en Guinée-Bissau – je me suis trouvé de plus en plus contraint de confronter la dissonance entre l’imaginaire européen et les conséquences historiques, politiques et symboliques de sa présence ailleurs. Ce n’est pas le désir de représenter un lieu ou une culture qui m’a animé, mais plutôt le choc d’une « rencontre ». Une rencontre souvent violente. Un moment qui a rendu visible les profondes asymétries qui persistent – sous de nouvelles formes, mais avec des logiques familières. Le film est apparu comme un moyen de se poser face à ces questions. Pas nécessairement pour les résoudre, mais pour les aborder et en discuter sous une forme cinématographique.
Quelle a été votre méthode de travail ?
Notre méthode de travail était basée sur la construction d’une sorte de désorientation contrôlée. Le scénario était écrit, entièrement dialogué, mais les acteurs et l’équipe n’y avaient qu’un accès limité. Ils retenaient l’intention dramatique de chaque scène, mais pas les répliques elles-mêmes. À partir de cette mémoire partielle, l’action se déroulait – improvisée, mais structurée par des points d’ancrage invisibles. La caméra n’a jamais anticipé. Elle réagit. Elle suivait les gestes, les hésitations, les rythmes des corps qui n’étaient pas tout à fait sûrs de ce qui allait suivre. Nous avons créé un dispositif où la caméra – et l’équipe – devaient se synchroniser avec le moment présent, comme s’il s’agissait de la vie elle-même. C’était, à bien des égards, une chorégraphie du chaos. Un exercice de concentration collective où chacun écrivait le film en temps réel. À certains moments, le plateau ressemblait plus à un croisement de routes qu’à un studio – d’autant plus que nous étions, en fait, en mouvement. On traversait des frontières, on changeait de paysage, on rencontrait des gens et des lieux qui s’imposaient comme une matière dramatique. Souvent, nous arrivions quelque part et nous demandions : « Pouvons-nous filmer ici, maintenant ? ». Et parfois, nous mettions en scène exactement ce qui venait de se passer – comme si le film nous avait précédés.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos acteurs ?
Les acteurs n’ont pas été choisis uniquement pour leurs qualités photographiques, mais avant tout pour leur subjectivité. Pour le type de mouvement intérieur qu’ils pouvaient apporter dans l’espace du film. Les personnages n’étaient pas fixés à l’avance – ils étaient transformés, redessinés, parfois même réinventés, par les personnes qui leur donnaient un corps et une voix. Chaque acteur était invité à apporter autant de lui-même qu’il le souhaitait – ou qu’il était capable – d’offrir. Et cette offre pouvait changer chaque jour. Parfois, ils donnaient plus, parfois moins. Parfois, ils refusaient. Cette négociation faisait partie du film. Elle a façonné les scènes, les dialogues, l’atmosphère. Leur présence, leurs contradictions, leurs refus, tout cela est dans le film. Le film ne pourrait pas exister sans leur courage, leur inconfort, leur générosité.