Donbass, le regard de Sergei Loznitsa

Photo du film Donbass © DR

Né en Biélorussie, le réalisateur Sergei Loznitsa aime flirter avec le genre documentaire. Après Krotkaya (Une femme douce), présenté en Compétition en 2017, et pour son sixième long métrage en Sélection officielle, il s’appuie sur des vidéos de guerre amateur pour évoquer la guerre du Donbass.

 

 

Racontez-nous la genèse de votre film

Quand la guerre du Donbass a éclaté en 2014, j’ai suivi les événements de très près et il a vite été clair à mes yeux qu’en dehors des sources conventionnelles, les sources d’information étaient des vidéos amateur postées par les témoins et les participants. Dans bien des cas, ces documents se révélaient plus informatifs que les « reportages de guerre ». J’ai souhaité recréer les événements du Donbass, et réaliser un long métrage fictionnel appuyé sur ces matériaux de la vie réelle. Pour cela, je me suis inspiré lors de la phase d’écriture d’une douzaine de vidéos sélectionnées : le mariage d’un couple de séparatistes, l’épisode dans une maternité quand les autorités volent l’aide humanitaire, etc.

L’atmosphère du tournage ? Une anecdote de plateau ?

Nous avons tourné à Krivoy Rog à l’est de l’Ukraine, l’un des centres miniers les plus importants d’Europe, car la ville ressemble à Donetsk à 300km de là, la capitale de l’une des républiques séparatistes autoproclamées. J’y suis allé avec ma formidable équipe venue de toute l’Europe de l’Est. Nous travaillons ensemble et en confiance depuis de nombreuses années, dans une atmosphère de tournage créative, ce qui est fondamental. Les conditions ont été très dures, essentiellement à cause de la vétusté des infrastructures locales et de certains problèmes éthiques liés au travail. Nous avons cependant réussi à passer outre ces obstacles et à tourner le film en 31 jours.

Le tournage a eu lieu en hiver et nous avons lutté contre des conditions climatiques défavorables. En mars, alors que toute la neige semblait avoir disparu, elle a commencé à tomber de nouveau, pile au moment où nous étions en train de filmer la scène de l’arrêt de bus, où les passants battent un soldat ukrainien, attaché à un lampadaire. Nous étions sensé tourner cette scène en 3 jours à la mi-mars. Tout à coup, la nuit du second jour, il a commencé à neiger très fort. Mon premier assistant réalisateur et mon producteur délégué m’ont appelé à 5 heures du matin pour me prévenir qu’il n’allait pas être possible de nettoyer la scène à temps. Mon producteur délégué a parcouru toute la ville pour trouver du matériel de déneigement efficace et il a réussi, en 24 heures, à dégager toute une place de la ville, ainsi qu’une rue adjacente. Personne ne soupçonnerait tous les efforts qu’il a fallu fournir pour recréer cette ambiance de grisaille, ce paysage urbain de printemps naissant.

Qu’est-ce qui vous a inspiré sur ce tournage ?

Mon but était de traduire des vidéos amateur en un travail fictionnel. Je voulais aussi montrer à quel point l’omniprésence de la caméra de télévision influence et fausse notre comportement. Pour décomposer le style du reportage télé, il faut l’étudier avec beaucoup d’attention. J’ai donc regardé un grand nombre de programmes d’information ukrainiens (russes, ukrainiens, et ceux produits dans les républiques auto-proclamées de l’est ukrainien). J’ai trouvé ça fascinant et même comique dans certains cas.