La Nuit du 12, Dominik Moll sur les traces d’un cold case entêtant

Photo du film LA NUIT DU 12 de Dominik MOLL © HAUT ET COURT

Trois ans après Seules les bêtes (2019), Dominik Moll renoue avec le polar pour mettre en scène dans La Nuit du 12 un enquêteur de la police judiciaire en proie aux doutes dans une affaire de crime non résolue. Un film dans l’air du temps qui questionne la masculinité.

Comment vous est venue l'idée de ce long métrage ?

Lors de la lecture de la quatrième de couverture de 18.3, Une Année à la PJ (2020), le livre de Pauline Guéna. Elle y explique qu'à la police judiciaire, chaque enquêteur a une affaire ou un crime qui le hante et qu'il ne lâche pas. Cela ne fait pas une histoire en soit, mais cet état de fait a éveillé ma curiosité. J'ai donc lu cet ouvrage, qui raconte l'immersion de son auteur à la PJ de Versailles en 2016.

 

De quelle façon son travail vous a inspiré le scénario de La Nuit du 12 ?

Avec Gilles Marchand, mon co-scénariste, nous nous sommes concentrés sur les trois derniers chapitres du livre, qui évoquent une enquête dont la spécificité est qu'on ne trouve jamais le meurtrier. C'est une affaire non résolue et c'est cette non-résolution qui m'intéressait. En général, dans les polars, on vous livre les criminels pieds et poings liés. Ici, le regard se porte ailleurs : sur le travail des enquêteurs et sur la violence à laquelle ils se confrontent chaque jour.

 

Vous dressez le portrait de toute une typologie d'hommes au travers de leurs rapports aux femmes…

Dans le cadre de cette histoire, les personnages masculins sont confrontés à la violence d'autres hommes envers des femmes. Nous souhaitions montrer ce que ces violences leurs renvoient de leur propre masculinité et de leur propre violence. Il y a une espèce d'inquiétude masculine qui transparaît. Il n'y a pas une thèse qui ressort du film, mais davantage des questionnements qui sont dans l'air du temps. Ce qui nous intéressait, c’était d’observer un milieu très masculin.

 

Comment avez-vous préparé l'écriture du scénario ?

Le livre de Pauline Guéna est très riche et elle nous a souvent servi d'interlocutrice. Mais je ressentais la nécessité de voir moi-même cela de près. J’ai donc effectué une semaine d’immersion à la PJ de Grenoble, où le film est situé. Les enquêteurs m'ont amené partout. J’ai notamment pu observer leur manière de contrebalancer le côté sordide de leur métier par de l’humour noir. Comme le film est une fiction et que le genre a été revu à toutes les sauces, j’ai voulu qu’il décrive vraiment le travail des enquêteurs de la PJ aujourd’hui.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?

J’ai été saisi par la lourdeur des procédures et le temps qui leur est dévoué. Chaque erreur peut fragiliser une enquête et pour cette raison, les policiers travaillent sous une pression énorme. Ils passent beaucoup de temps derrière leur clavier car tout doit être consigné de façon très rigoureuse.

« Puisque la tempête se trouve dans la tête des personnages, j’ai pensé qu’il ne fallait pas en rajouter avec une mise en scène agitée ».

Où avez-vous tourné ?

Une moitié du film a été tournée en Savoie, dans la vallée de la Maurienne, et l’autre à Grenoble, où l’on a finalement tourné seulement quelques extérieurs du commissariat. Les bureaux de la PJ ont été ensuite très fidèlement reconstitués dans un bâtiment abandonné de la région parisienne. Nous avons utilisé des clichés pris sur place pour travailler le décor dans les moindres détails.

 

Vous explorez souvent les montagnes de province. Qu'est-ce que ces paysages vous ont permis d'apporter au film ?

La vallée de la Maurienne est très industrialisée. Elle comporte quelque chose d’assez oppressant. Et pourtant, lorsque l’on monte sur les hauteurs, tout y est magnifique. À Grenoble, il y a toujours ces montagnes autour, qui peuvent à la fois être très belles et menaçantes. C’est ce contraste qui me plaît, au-delà de la ciné-génie de ce genre de paysage.

 

Le rythme du film est très important…

Puisque la tempête se trouve dans la tête des personnages, j’ai pensé qu’il ne fallait pas en rajouter avec une mise en scène agitée. Cela aurait été contre-productif par rapport à ce que je souhaitais raconter. Au montage, nous avons poursuivi sur cette idée. Le rythme devait se poser par les scènes et non pas par le montage. J’avais également envie que l’on sente bien les personnages dans les décors car ils ont une influence sur l’action. Certains n’apparaissent qu’une fois à l’écran, mais longtemps. Je voulais donc que la mise en scène les laisse exister et qu’ils marquent.

 

Un mot sur le casting ?

Plus de cent personnes ont été auditionnées pour constituer le groupe d’enquêteurs. Il nous fallait trouver des individualités, mais il était important aussi qu’une dynamique de groupe se créé car lors de mon immersion à Grenoble, j’ai constaté qu’elle était essentielle. Nous avons eu assez vite envie que Bouli Lanners incarne Marceau. Pour Bastien Bouillon, qui interprète Yohan, cela a pris un peu plus de temps. J’ai attendu un peu avant de le voir mais quand il a passé les essais, il a été très convaincant. Il apportait l’opacité et le mystère indispensables à son personnage.