Le Don Juan inversé de Serge Bozon

Photo du film DON JUAN de Serge BOZON © Jean-Louis Fernandez

Abandonné, démuni et bizarrement sincère : dans Don Juan, son sixième long métrage, Serge Bozon prend à contrepied la figure du célèbre et éternel séducteur. Ce film musical post « MeToo », dans lequel Tahar Rahim et Virginie Efira chantent et dansent, interroge la perte de confiance conjugale.

Quel est le point de départ de Don Juan ?

L'idée était de réaliser un film post « Me Too » sur une question un peu brûlante. Je me suis demandé quelle était la figure par excellence de l'homme qui abuse des femmes, les trompe et les trahit sans cesse. Il n'y avait pas de figure plus nette que celle de Don Juan. J'ai eu envie de filmer une sorte de Don Juan inversé. Au lieu d'être conquérant, cynique et manipulateur, il est plutôt abandonné, démuni et bizarrement sincère.

 

C'est la première fois que vous réalisez une histoire d'amour…

J'avais envie de tenter un virage à 180° et de réaliser un film qui soit plutôt romantique, douloureux et un peu rêveur sur le couple.

 

Vous mettez en scène un Don Juan obsédé par une seule femme…

Progressivement, nous nous sommes dits qu'il fallait creuser quelque chose de plus désenchanté et sombre, et prenant notamment davantage le parti de l'abandon que de la conquête. Dans le film, la musique creuse les sentiments douloureux et solitaires des personnages.

 

Quelles portes cette relecture vous a permis d'ouvrir ?

J'ai voulu donner à un homme un rôle qu'on donne d'habitude à une femme. Cela m'a permis de tenter avec Tahar Rahim quelque chose qu'il n'avait jamais expérimenté. De creuser une veine plus romantique, loin du type de banlieue ou de la petite frappe.

 

Pourquoi un film en partie chanté et dansé ?

Plutôt que de les faire se dire « je t'aime » ou s'embrasser, j'ai préféré travailler des esquisses de caresses par la danse pour prolonger cette étape, qui est souvent la plus émouvante, du couple qui est en train de se rapprocher. Le chant ou la danse m'ont permis de prolonger ces transitions qui, souvent dans la vie, vont trop vite, et qui au cinéma sont souvent ce qui émeut et nous emporte le plus.

« Tahar a amené une espèce d’innocence un peu éperdue et naïve. Sinon, son personnage aurait pu paraître assez prétentieux, fermé et monomaniaque ».

Quels ont été vos préceptes de mise en scène ?

Pour les parties dansées, nous avons beaucoup travaillé sur des gestes anodins de la vie ordinaire pour les montrer autrement. Nous avons travaillé la lumière de chaque cadre et essayé de faire en sorte que le plan, dans une sorte de simplicité un peu frontale, arrive à une vibration.

 

Comment Tahar Rahim et Virginie Efira se sont-ils préparés ?

Tahar Rahim a pris plus d'une cinquantaine de cours de chant. Pour Virginie, ce qui a été costaud, c'est qu'elle devait parfois chanter tout en jouant du piano et en interprétant des scènes où elle était censée faire monter une émotion.

 

Qu'ont-ils apporté à leurs personnages ?

Tahar a amené une espèce d'innocence un peu éperdue et naïve. Sinon, son personnage aurait pu paraître assez prétentieux, fermé et monomaniaque. Virginie joue sur un mode un peu plus doux, avec une réserve un peu discrète qu'elle n'a pas toujours dans ses autres films.

 

Un mot sur Alain Chamfort ?

C'est une des très bonnes surprises du film car c'était un pari pour lui. Il joue un homme un peu émacié, presque spectral à la Christopher Walken. Très progressivement, on constate que Monsieur Chamfort récupère le dernier tiers du film sous sa cape. Il le porte !