Manto, le regard de Nandita Das

Photo du film Manto © DR

 

Nandita Das est une figure singulière du cinéma indien. Actrice prolifique, mais pas seulement, la réalisatrice fait partie de cette génération émergente qui se bat pour faire exister un cinéma indépendant au pays de Bollywood. Après avoir porté sa voix au Jury des Longs métrages en 2005 et celui des Courts métrages en 2013, elle présente son deuxième film, Manto, du nom du grand auteur indien auquel elle rend hommage.

Quelle est la genèse de Manto ?

J’ai découvert Manto à l’université. Quelques années plus tard, j’ai acheté son œuvre intégrale et j’ai été frappée par ses récits certes simples mais néanmoins profonds. Je connaissais ses nouvelles et, pendant des années, j’ai voulu les adapter, avant même que je réalise mon premier film, Firaaq (2008). Mais c’est en 2012, centenaire de la naissance de Manto, que ses écrits sont devenus populaires et qu’on a beaucoup écrit sur lui. Ca m’a donné envie de mieux connaître la personne qu’était Manto. Et alors que je plongeais en profondeur dans sa vie, je me suis demandée pourquoi il me semblait si familier. C’est alors que j’ai réalisé que c’était comme si je lisais à propos de mon père, un artiste. Lui aussi est intuitivement non conformiste, un marginal incompris et dont le franc-parler n’est pas si éloigné de mon personnage.
 

Une anecdote de tournage ?

Les scènes à Lahore ont été tournées dans une petite ville du Gujarat, un Etat d’Inde orientale. En fait, au premier jour de tournage, 250 villageois étaient face à la caméra pour la première fois pour une scène dans un camp de réfugiés. Ils voulaient souvent regarder la caméra ou lui sourire alors qu’ils étaient censés avoir l’air épuisé et bouleversé ! Il y avait aussi Gurdaas Mann, une star du cinéma et de la chanson qui a accepté de faire un caméo comme personnage principal d’une scène. Chaque fois que la prise était bonne, quelqu’un regardait droit dans l’objectif. Il faisait 45 degrés, il y avait mon fils de six ans qui n’arrêtait pas de se jeter sur moi, ça n’a pas rendu les choses faciles. Les dix jours restants, mon fils et moi sommes restés dans le village pendant que l’équipe était à l’hôtel à une heure de là. Pour moi, travailler ainsi a été le défi le plus intéressant et, en même temps, une expérience enrichissante.

Quelques mots sur Nawazuddin Siddiqui, qui interprète Manto?

J’ai toujours eu Nawazuddin Siddiqui en tête pendant que j’écrivais Manto. Il avait eu son premier rôle important dans un long métrage avec Firaaq, mon premier film. En 2013, à Cannes, j’étais membre du Jury des Courts métrages et Nawaz était là pour Monsoon Shoutout (présenté en Séance de Minuit). Je lui ai alors parlé du film. Il était très enthousiaste et m’a assuré qu’il y mettrait tout le temps et l’engagement nécessaires, quoiqu’il arrive. On dit que si le casting est réussi, 70 % du travail est fait. Et avec Nawazuddin, c’était exactement ça. Il a un incroyable éventail de jeu en tant qu’acteur mais intrinsèquement, Manto résidait dans ses yeux. C’était presque un choix évident.

Quel regard portez-vous sur l’industrie cinématographique en Inde ?

Le cinéma est la principale forme de divertissement en Inde et le restera grâce au grand nombre de salles, la portée grandissante des chaînes de télévision et les nouvelles plateformes digitales. Cela dit, de mon point de vue de cinéaste indépendante, il est difficile de réaliser des films qui ne suivent pas le schéma commercial. La diversité des récits que le cinéma indépendant peut apporter, ce n’est pas encore d’actualité, au vue des impératifs économiques qui interfèrent sur la création artistique.