Mascarade : entretien avec Nicolas Bedos

Photo du film MASCARADE de Nicolas BEDOS © 2022 - LES FILMS DU KIOSQUE - PATHÉ

Mascarade a des airs de valse folle mais dont chaque pas est maîtrisé. Nicolas Bedos y invite Pierre Niney, Marine Vacth, Isabelle Adjani et François Cluzet, tous dirigés à la perfection. Ils servent un récit complexe et cher à l’auteur de La Belle Époque et OSS 117 Alerte rouge en Afrique noire, un bal entre gens fortunés et ceux qui aspirent à le devenir, où s’entrelacent amour passionnel et jeux de dupes. Sélectionné Hors Compétition, le film est à découvrir au Grand Théâtre Lumière.

Où avez-vous trouvé l’inspiration pour ce film ?

Elle vient d’une période très sombre que j’ai traversée dans ma jeunesse et qui m’a laissé de fortes impressions. J’avais envie de parler de ce monde des gens qui ont de l’argent et qui, néanmoins, se débattent de façon désespérée et pathétique dans des vies inachevées. J’avais aussi envie de rendre le spectateur amoureux. J’avais beaucoup parlé des sentiments, du couple, mais pas du désir. Mon but était surtout de faire un film sur la passion, le désir sensuel et physique pur, à travers le personnage de Margot.

C’était aussi l’occasion de mettre en scène tous les antagonismes ?

J’ai écrit le film il y a un moment mais il est en résonnance avec des choses que je sentais, à savoir un fossé très fort entre les générations, les classes et les sexes. Ce film fait l’état des lieux assez terrible de groupes qui ne se comprennent plus. Il y a une extrême violence, une radicalité légitime mais parfois excessive chez les deux jeunes personnages, parfois sans foi ni loi, sans empathie. Ils ont le sentiment d’avoir été abandonnés. On lit ça tous les jours dans la presse et ça a irrigué mon stylo.

Le titre, Mascarade, a un double sens…

C’est à la fois un drame et une farce. Une mascarade, ça peut être terrible, c’est une trahison, un mensonge, mais ce peut aussi être une fête, une soirée déguisée. J’ai rapidement trouvé le titre quand j’ai essayé d’écrire le livre. J’avais envie de trouver cet esprit-là, à la fois la satire bouffonne de tous ces gens qui se trompent et portent des masques, et en même temps, ces choses très graves qui leur arrivent.

Il y a une palette de personnages très variée et très complexes. Comment avez-vous réussi à créer cette imbrication ?

Cette imbrication, c’est une forme de dépaysement psychologique, une traversée de plusieurs mondes sans les bâcler. La vraie question, ce n’est pas de mettre tout ça ensemble mais d’y parvenir sans que ce soit superficiel. Il n’y a pas un personnage dont la fonction est uniquement de faire avancer le récit. J’ai la chance de me reposer sur des éléments autobiographiques et des histoires que j’ai entendues, qui appartiennent à la vie de certains proches ou de ma famille donc j’en connais les tenants et les aboutissants. Ce ne sont pas des « personnages de papier », comme le disait mon parrain, Jean-Loup Dabadie. J’ai une responsabilité vis-à-vis d’eux.

Et pour les incarner, un casting de premier choix composé de Pierre Niney, Marine Vacht, Isabelle Adjani, François Cluzet, Emmanuelle Devos et Charles Berling. Comment les avez-vous convaincus ?

J’ai la chance d’avoir fait mes films précédents. En écrivant, le but n’était pas de faire un casting éblouissant. Mais peu à peu, des acteurs d’envergure étaient d’accord pour jouer, même des seconds rôles, parce qu’ils avaient aimé Monsieur et Madame Adelman ou La Belle époque. Au départ, on se dit : « Emmanuelle Devos ne va quand même pas venir tourner trois séquences… » Et elle accepte. J’espère pouvoir lui offrir un rôle plus important la prochaine fois.

Était-ce simple de les diriger ?

J’étais angoissé et à l’affût de leur façon de fonctionner. Ils sont tous très différents. C’est comme si dans la même soirée, on devait parler différemment à trois hommes ou femmes qu’on aime avec des caractères opposés. Cela dit, j’essaie de faire travailler les gens dans une forme de plaisir tout en ayant un objectif. C’est parfois absolument épuisant, parce que ça oblige à des gymnastiques psychologiques dont je ne suis pas coutumier dans la vie. Il y aurait un bouquin à écrire sur la façon de diriger Isabelle Adjani, un autre pour Marine Vacht,  pareil pour François Cluzet… Ce sont des personnes fragiles et intelligentes. La moindre connerie peut coûter votre autorité de metteur en scène. Mais je travaille beaucoup. Je n’arrive pas sur le plateau avec des blagues et du bagout mais avec un discours apparemment sûr. L’équipe sait qu’elle peut se reposer sur ma connaissance des déplacements, du cadre, de la scène et ça crée un climat de confiance.

Comment avez-vous conçu les scènes du procès, qui structurent toute la narration ?

C’est le narrateur du film. Il commente, oriente et divertit. J’ai revu JFK, Philadelphia, Le Procès et beaucoup d’autres. J’ai aussi vu des films de mauvaise qualité pour identifier les erreurs du genre. J’ai été conseillé par deux amis avocats qui ont vérifié chacune des interventions, la façon dont on s’adresse au juge, les positions dans le tribunal. Il fallait croire à ce procès. C’est valable pour tout scénario : il faut du rythme et de la crédibilité. J’ai envie qu’on s’en amuse, que ce soit différent de la vie mais que ce soit assez la vie pour qu’on puisse penser que c’est vrai. Sinon, il n’y a plus de magie.