Memoria, le nouveau voyage sensoriel d’Apichatpong Weerasethakul

Photo du film Memoria © Kick the Machine Films, Burning, Anna Sanders Films, Match Factory Productions, ZDF-Arte et Piano, 2021

 

Onze ans après avoir décroché la Palme d’or pour Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, le réalisateur thaïlandais revient en Compétition avec Memoria, un long métrage sensitif sur la mémoire et la solitude pour lequel il s'est éloigné de sa terre natale, où il avait ancré l'ensemble de ses précédents films.

On avait quitté le cinéma onirique d’Apichatpong Weerasethakul sous les spectres de lumières multicolores d’un hôpital militaire, au chevet de soldats contraints à une étrange thérapie après qu’une forme inconnue de maladie les eut plongés dans un profond sommeil. Œuvre profondément politique derrière son écrin de suggestions surnaturelles et de vies parallèles, Cemetery Of Splendour – projeté à Un Certain regard en 2015 – dénonçait subtilement les réformes autoritaires de la junte militaire arrivée au pouvoir en Thaïlande en 2014 par un coup d’État.

Cette fable chamanique sur le sommeil et le rêve, à la fois contemplative et méditative, rappelait également toute la fascination d’Apichatpong Weerasethakul pour le fonctionnement du cerveau et les sciences cognitives, qui constituent à nouveau l’un des motifs structurants de Memoria. Soit l’histoire de Jessica (Tilda Swinton), une botaniste spécialiste des orchidées qui, lors d’un séjour à Bogota où réside sa sœur malade, est surprise par une forte détonation. Jessica se met alors en tête de localiser l'origine du mystère sonore qui tourmente son âme.

Tourné dans les montagnes de Pijao et à Bogota, la capitale colombienne, Memoria invite le spectateur à un voyage sensoriel très pictural et harmonieux d'une intime étrangeté qu’Apichatpong Weerasethakul développe en cadrant à bonne distance.

Le réalisateur thaïlandais, qui considère le cinéma comme un art instinctif et compare volontiers son pouvoir à celui d’une forme de magie (noire) capable d’envoûter nos esprits, s’est intéressé à la manifestation physique du son et à son impact sur notre mémoire. Aussi spirituels et organiques soient-il, ses récits aux allures de rêve éveillé, où se déploient des jeux d’illusions et errent les fantômes de mythes ancestraux, n’oublient jamais – ainsi que le prouve Memoria – de s’ancrer dans la réalité.