Ye Ye décrypte le « pessimisme joyeux » du peuple chinois dans H6

Photo du film H6 © SaNoSi Productions

 

Pour son premier long métrage, l’artiste d’origine chinoise Ye Ye a posé sa caméra dans le plus grand hôpital de Shanghai pour y capter la capacité singulière des Chinois à faire face aux aléas de la vie : avec fatalisme et humour.

Quel est le point de départ d’H6 ?

En 2015, j’ai été hospitalisée en France et l’année suivante, j’ai participé au tournage d’une série télévisée dans un hôpital en Chine. J’ai découvert à ces occasions à quel point la perception de la maladie et des dangers diffère entre l’Europe et l’Asie. Pour la seconde saison de la série, j’ai proposé de réaliser un documentaire sur la manière qu'ont les Chinois de faire face à la souffrance. Je me suis concentrée sur l’hôpital n°6, qui est le plus grand de Shanghai. Cela m’a permis d’avoir accès à un casting très large et ainsi, de montrer la résilience des Chinois à travers des exemples variés. Au total, la conception d’H6 aura duré quatre ans.

De quels aspects de la résilience chinoise avez-vous souhaité témoigner ?

Dans mon adolescence, j’ai eu l’occasion d’observer ce mélange d’humour et de fatalisme, d’amour et de dépendance qui caractérise, selon moi, la résistance des Chinois à l’adversité. J’ai approfondi dans le film leur pessimisme joyeux.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la société chinoise ?

Elle a franchi en trente ans ce que les sociétés occidentales ont mis plus d’un siècle à traverser. Pour résister à cette accélération, elle a dû déployer des trésors d’ingéniosité et d’adaptation aux changements. Le film montre ses stratégies pour garder plus ou moins maladroitement l'équilibre. Je souhaite que les spectateurs aient le sentiment, au travers d'H6, d’avoir approché un peu le cœur de la Chine.

Quels étaient vos objectifs de narration ?

Je voulais qu’H6 ressemble à une fiction même si je filme de vrais gens dans de vraies situations. Ce procédé me paraissait être plus à même de provoquer l’empathie du spectateur.

Comment s’est déroulé le tournage ?

Son organisation a été compliquée car tous les personnages ont été filmés en même temps. Il me fallait donc être très présente afin de ne pas rater des moments importants pour la narration. Il m’a également fallu trouver la bonne distance, être proche de leurs émotions tout en me faisant oublier. J’ai commencé à filmer certains personnages avant de les abandonner parce qu’ils faisaient double-emploi, ou parce qu’ils n’étaient pas assez forts dans ce qu’ils exprimaient.

Que recherchiez-vous précisément ?

J’ai essayé, dès la première rencontre, d’être à leur écoute, de sentir les problématiques apparentes et sous-jacentes, mais aussi de ne pas les trahir, tout en nourrissant mon histoire. Quand une séquence que j’avais filmée me faisait pleurer ou sourire, c’était un bon signe.

Un mot sur le montage ?

Il a commencé dès le tournage. Je montais dans ma tête en permanence. J’ai d’abord été seule avec mes images, puis j'ai cheminé vers une version de huit heures que je trouvais cohérente. J’ai ensuite rencontré le chef monteur Rodolphe Molla par l’intermédiaire de Jean-Marie Gigon, mon producteur. Je voulais qu’il puisse me donner son avis sur les personnages sur lesquels j’hésitais encore. L’idée était qu’il vive la même expérience que moi, qu’il soit touché par ceux que j'avais filmés. Rodolphe m’a apporté le recul nécessaire pour redécouvrir mon film.