Godard par Godard, dans la tête d’un défricheur du 7e Art

Photo du documentaire GODARD PAR GODARD de Florence Platarets et Frédéric Bonnaud. © Philippe R. DOUMIC_GAMMA-RAPHO

Dans Godard par Godard, Florence Platarets déploie la carrière de Jean-Luc Godard sans voix off ni témoins, en lui laissant la parole aux travers d’une pléiade d’archives. Le journaliste et directeur de la Cinémathèque française Frédéric Bonnaud, qui a écrit le documentaire, revient sur sa genèse et sur la manière que le réalisateur de la Nouvelle Vague a eu de défricher le cinéma.

Comment vous est venue l’idée de ce documentaire ?

Avec Florence Platarets, nous venions de réaliser un film sur la Nouvelle Vague, et plus précisément sur le noyau de cinéastes qui a collaboré aux Cahiers du cinéma : Truffaut, Rivette, Chabrol, Rohmer et Godard. Nous avions envie d’aller plus loin avec l’un d’entre eux et c’est Jean-Luc Godard qui nous intéressait davantage. Godard a littéralement passé sa vie à donner des interviews. Le Godard reclus à Rolle, qui ne voulait plus voir personne, c’était à la toute fin de sa vie. Mais avant ça, durant cinquante ans, il n’a cessé de se confier aux journalistes. C’est quelqu’un qui, sur son propre travail et sa place dans l’histoire du cinéma, était extrêmement précis, intelligent et vivifiant. Lorsqu’on a débuté le film, il était tout ce qu’il y a de plus vivant.

D’où proviennent les archives utilisées ?

En partie de l’INA. Nous savions que certaines archives existaient et je les avais en tête au moment de l’écriture. Je pense notamment au reportage de l’ORTF sur le tournage de Bande à Part avec Anna Karina et Claude Brasseur. Pour les films, les deux principaux ayants-droits sont Studiocanal et Gaumont. Nous nous sommes aussi amusés à dénicher des archives moins connues du côté des télévisions étrangères. Nous avions donc de grandes balises pour structurer les films.

 

« Personne d’autre que Godard n’a exigé autant du cinéma ».

 

Quelle a été votre ligne directrice ?

Notre volonté était de ne pas s’arrêter au Godard des sixties, proche de Matisse, avec de grands aplats de couleurs, mais de nous attaquer au Godard qui peine encore à être accepté, et remonter les années jusqu’à l’orée de la décennie 2000.

Quel regard portait-il sur sa filmographie ?

Il considérait À bout de Souffle (1960) comme son premier essai et je crois qu’il y a eu pour lui des films plus importants. Je pense à Vivre sa vie (1962) ou à Passion (1982), qui lui ont permis de continuer ses recherches. Contrairement à la plupart des artistes, il n’a jamais fait deux fois le même film. Godard n’a jamais été quelqu’un d’arrêté. Personne d’autre que lui n’a exigé autant du cinéma. Il a un niveau d’exigence par rapport à son art qui est unique. Il lui fallait faire cracher au cinéma toutes ses possibilités, tant du point de vue de la fiction que du documentaire. Il était obsédé par le fait qu’on peut penser avec le cinéma et qu’il peut se prêter à toutes les expérimentations.

Serge Daney disait de lui qu’il faisait partie de l’usine secrète du cinéma. Qu’a-t-il apporté au 7e Art d’après vous ?

Une remise en question totale. Si Godard est tellement important, c’est qu’il a fait avec le cinéma ce que Picasso a fait avec la peinture. C’est quelqu’un qui connaissait le cinéma et l’histoire du cinéma sur le bout des doigts, mais qui, dès son premier film, a tout remis en question. Truffaut dit dans notre documentaire qu’avec Citizen Kane (1941), À Bout de Souffle est le plus grand premier film de tous les temps. C’est un film qui a profondément et radicalement changé l’écriture cinématographique elle-même. Il y a eu un avant et un après À bout de Souffle.

Une production Ex Nihilo, avec la participation de France Télévisions et du CNC.